30 sept. 2013

double-écart

Evidemment il faut être équipé, avoir le hachoir pour la chair à, les embossoirs et le boyau qu’on remplit – vraie vision d’une magie quand la première fois j’ai provoqué/assisté depuis mes tours de manivelle à la naissance d’un serpent rose qui seul sur la planche avance, se froisse au ralenti, refuse de s’arranger en spirale –, à moins que chapelure augmentée de ce qu’on imagine au moment d’y rouler la farce façonnée en saucissettes dans nos propres mains et 15 mn dans une poêle huilée feu doux, flambez si vous voulez, tout dépend de ce qui cuit dedans ou autour (un débit de jeunes pousses de Trévisse qui sont bien sorties cette année et qu’on a pas eu la place de toutes repiquer – en cas, bien sûr, d’un arpent), je ne vais pas vous faire la liste (une liste!) des modulations possibles pour la chair à saucisse qu’on serait trop con de croire restreintes, il suffit d’admettre que Pourquoi pas! et En voiture, Sigmund! tout est question de gestes et de postes, de mouvements dans l’espace, de corps et d’étals, une chose est sûre: vous êtes en train de faire vos propres saucisses et cela vaut toutes les inventions de la roue, de la peinture en tube, du microprocesseur, Dieu est avec vous, c’est Vous. C’est le fourre-tout subtil: la macreuse supporte le magret, le cochon l’agneau, il y a toujours la place pour un peu de lard gras, un peu de chapelure, des graines, des fanes fondues, des cuillerées d’alcool, un yaourt, des écorces, des drupes, du tofu, des cacahuètes.

Dieu encore quand dans l’arpent vous voyez les tomates grossir et rougir, les betteraves pousser du dos la terre comme des léviathans charmants, les cornichons doubler en une nuit, les haricots sagement pencher sur eux-mêmes, les piments s’allonger mutiques; riche de temps qui passe et bouffé d’impatience, vous vous demandez quoi récolter en premier ? qu’en faire ? vous imaginez des saveurs, c’est abstrait. Peut-être y aller nu. Et quand un jour vous plantez des poireaux… c’est à rouler des galoches aux pinsons! Tant pis si j’ai mal organisé mon changement de gazinière, que l’ancienne est partie et la nouvelle même pas encore désignée, il y a un trou et je cuisine sur un brûleur de camping qui n’a pas de feu doux, je dois faire fort puis arrêter puis refaire fort, 10 mn de chaque (x2) pour ces 2 cuisses de canard avec 8 petits oignons frais, 4 dents d’ail, feuilles de sauge et 2 aubergines blanches émincées qui ont fondu et dans cette douche écossaise fait une sauce chinée déglacée de riesling que rien n’accompagnait parce que je n’avais qu’un seul feu (demain j'y ferai des patates) et maintenant il pleut.

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playtex


Parce que je n’avais pas pu me décider à jeter le bouillon rosé de cuisson des borlotti-lardons, j’en ai fait un risotto dressé au hachis de feuilles de menthe. Pâture et limousin.


full contact

dans le rêve le type qui le long des allées des potagers d’un havre de banlieue cueillait délicatement des feuilles de pissenlit une par une et les déposait dans un grand sac à provision et plastique ne se faisait pas prier pour engager la conversation et me vanter les vertus gustatives des pointes. Des pointes d’asperge sauvage bien entendu, mais aussi, des pointes de clématite dont son épouse, précisa-t-il, raffolait tellement que parfois elle semblait attendre son retour avec l’impatience et la gourmandise d’un futur transplanté cardiaque (c’était son expression et son visage grandissait nettement dans l’image), des pointes d’ortie, de fève, de laiteron, de bourrache officinale dont on prend également les fleurs qui par trois ou quatre rappellent le iodé des huitres, il faut chercher, dit-il, essayer, les jeunes feuilles du haricot sont très bonnes, les creuses de l’oignon aussi mais ne pas trop en mettre, il faut équilibrer les ingrédients qu’il n’y en ait pas un qui se prenne le dessus pour que la tourte soit aux herbes sauvages, à toutes les herbes, après je mélange avec des œufs, du parmesan, du sel et du poivre… Pas de crème, ai-je demandé et il m’a regardé torve et gêné par ce gonze qui ne pouvait garder une idée par devers lui, non pas de crème, après je mets dans la pâte que je fais avec de la farine, de l’eau, un peu de sel, de l’huile d’olive (depuis le début avec un gros accent italien) et en même temps se souvenait comment chez lui vers San Remo on avait toujours ramassé les herbes pour les manger et je pense à cette amie qui râle contre les marchés français dans lesquels on ne trouve ni feuilles, ni vert, et je notais d’essayer sa recette avec d’autres herbes bien sûr, celles auxquelles personne avant moi, trop malin des malins, n’aurait pensé et de la farine de maïs alors qu’il insistait sur le recouvrement de l’appareil par un rabat de pâte qu’il faudra ensuite percer pour permettre aux vapeurs de la cuisson de circuler, vous pouvez aussi faire les raviolis aux orties, ça, ma fille à chaque fois qu’elle vient à la maison, elle dit «alors papa, tu as fait les raviolis» et je les ai fait. Toutes sortes de nuages au ciel, ceux à base d’aplomb qui moutonnent de tous les gris possibles, ceux quasi noirs qui descendent, remontent comme le rideau de la mort même, une mort qui comme une copine… je regardais une alouette, peut-être un peu trop grosse pour être vraie, s’étaler, elle et ses plumes d’ocelot, au tuf léger des pieds de tomate, d’immenses bocaux (ceux-là ne pouvaient être vrais) de dents d’ail au vinaigre et sauce soja en bornes du jardin diffractait le soleil en arc-en-ciel monochrome. Au réveil, j’ai fait des œufs au plat dont j’ai préféré rabattre les étals blancs sur les jaunes pour un sandwich dans du pain que j’ai croqué et un long filet doré, souple et lourd comme une guimauve féodale, s’est écoulé de chaque côté de l’en-cas, me faisant deux étais de la bouche jusqu’au sol et, comme j’allais vers l’évier, dispersant dans la cuisine des tâches topaze que je n’eus plus qu’à lécher.

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visitez la prison

parce qu'il me restait froid un quart de scarole braisée, j'ai vidé dessus un œuf coque chaud pas assez cuit dans l'idée que l'échalote vin blanc de l'une ferait la meurette de l'autre et le sel du pain qui les sauça, une algue qui barbotte au couchant


chère maman

Il y a cette habileté, que je tiens d’une autre chère personne, par laquelle le soir en guise de repas tu pèles et coupes en rondelles une orange pour la dresser d’olives noires émincées, de sel et d’huile d’olive, assez pour qu’au jus mêlé ton pain s’y repaisse et que sans aucun doute ton conjoint t’y joigne.

Tendresses pour les siècles.

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chapelle sur soi

Comme j’avais lu : la satisfaction de l’indispensable immédiat envisagé comme un entre-deux (je vais manger, que vais-je manger ? j’ai mangé), je voulais m’en tenir à cette salade de fruits d'un entre-deux (pomme, poire, banane, orange) parfumée au citron vanillé et ail, beauté qu’il fallu malmener pour manger et que nous dressâmes, parce qu’il faisait doux sous le ciel arrangé de cumulus et stratus impatients, cernée d’une liane de clématite cultivée, sur la table du jardin en pente comme il se doit. Mais alors que je pressais la demi-dent dans le jus du demi-agrume infusé des grains d’une demi-gousse de l’orchidée (un vrai choix de moitiés), Tobias a proposé de fouetter une crème avec un sucre roux anisé (il avait ensemble pilé les deux) arguant de la vision anatolienne d’un blanc lumineux au-dessus d’une escalade de vergers, complément parfait qui adoucit l’écart de l’ail en une sorte de fin filet d’eau fraîche remontant un à-pic. Soit.
Sur un lit d’un cœur de céleri branche et ail émincés cuisait 30 minutes deux filets mignons garantis de cochons gascons noirs et sans eau, coiffés de deux oignons frais entiers longs et fins comme des ciboules qui leur faisaient des pattes arachnæ. J’y avais ajouté un tubercule de curcuma débité qui donna à la sauce ce jaune qu’ont les roses (ô la transparence du céleri confit dans ce jus) et au goût quand on en croquait un bout une saveur térébenthine et longue, parente d’un acier légèrement sanguinolent. Dans l’assiette avec les carottes, brocolis et gros doigt de gingembre cuits à l’étouffé d’eux-mêmes sous un torchon et son couvercle (j’aurais aimé tester le sous des pierres chauffées et mouillées mais je pense qu’il n’est prescrit que pour la viande) piquetés d’un hachis de cresson terrestre que le maraîcher appelait un truc du genre d’Homenay et qu’un instant Tobias et moi regardant la salade de fruits nous hésitâmes puis comprîmes ensemble que l’autre aussi se disait : mmh… non, c’est assez comme ça! – la preuve à nouveau que les bouches connaissent les couleurs et se régalent de leurs harmonies.
Le mélange de piments habanero, lampions orange ou rouge, violents comme une jeunesse sans espace, marinés à l'huile puis broyés avec de la moutarde et ses grains – estragon et cerfeuil en option de palette – fut laissé incompris sur la table tant son fumet grognait les dents serrées sur les bord du pot. Un hanneton se saoulait des sucs d’une cirse, le carrelage vert de la piscine, nous faisions des promesses, nous étions amoureux.

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1 sept. 2013

votre virement

Vous souvenez-vous de la première fois que l’autre a sorti une corde et a dit Après manger, je te ligote? Vous rappelez-vous le goût que prit le dos de cabillaud que vous faisiez frire pané chapelure et maïs? Combien le confit de tomates aubergine secret des épices persil eut de profondeur, pareil à un horizon courbé dans un couchant d’été?
C’est l’hiver. Au marché il y a des couteaux, flasques tiges blanches qui pendent entre leurs coquilles allongées, rassemblés en un 500 g par un élastique. J’ai exactement elé le vert d’un poireau pour n’en avoir que des cheveux, me suis approché du même avec une carotte et deux échalotes, le tout disposé bien à plat sur le fond d’une casserole haute, litière pour les coquillages empilés en une sorte de kapla© des plages. À feu doux sous couvercle 10/15 min, pas de sel ni d’aucun truc. Le mollusque devient comme un trop petit globe oculaire au bout d’un trop gros nerf optique et conserve quelque part dans le milieu de sa longueur une poche qui est à l’iode ce que le bruit est à la musique, un excès. Croquer dedans et c’est le doute d’avoir bien fait qui vous saisit en même temps que la certitude d’être au bon endroit, une overdose sans les désagréments inhérents. J’ai dressé légumes et animaux avec une vinaigrette dont la moitié de l’huile était le bouillon cuit au fond.

C’est l’hiver. Au marché, j’achetai les légumes qu’on sert, je savais que fruits de mer et cochon (vous le savez aussi), j’ai, lapsus of the mind, pensé boudin à la réglisse, un rapport de camaïeu où l’un est le bonbon de l’autre et avec tout ce blanc étal épais dehors — le grand manteau etc. —, c’était moins une un moyen d’accéder à Roi du monde, i.e. des contrastes simples et irrévocables. Depuis cette dèche hivernale, j’ai mis à confire 50 min à four très petit un plein plat de grelots des beaux jours dont la plupart avait germé (et ce germe piqua ensuite sur la langue) tandis qu’une mirepoix carotte, céleri, poireau, ail, coriandre, persil, relevée d’un piment népalais, marchait vers l’al dente à l’étouée d’une poêle. Le plus drôle fut, tout à feu doux (voire très), dans une casserole petite, de réduire 50 cl de vin rouge sur quelques échalotes fondues au thym (réduire! l’appel au cocon qu’à ce mot), d’y ajouter 20 cl de fond de veau pour 8/10 min puis fondre 50 g de beurre et plusieurs salmiakki. Alors l’onctuosité vous visite, rayon par le carreau, l’enfant surveille les marchands qui boivent. Au service et à l’arlequin végétal j’ai ajouté crus des mêmes qui le composaient, du riz singea la neige pour le boudin chaué quelques minutes à la vapeur, la sauce fut sur les grelots en robe des champs. «Protéines, n’est-ce pas!», dit-elle en attaquant la pizza aux fruits — chèvre et fenouil en appareil.

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courrèges


les noisettes glanées émincées grillées avec assez de graines de tournesol, de pavot pour recouvrir la surface d'une poêle sèche et quelques de fenouil, à tremper peu sucré, le temps de le manger, dans la compote de prunes et sauge étendue de lait de soja, font la capuche du ciré sur une joue chérie.


petit babil


parce que ça de riz et de brocolis d'hier, dans la poêle et un coup de beurre, déglacé au soja, poivre – un bain d'arbres la nuit

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plus de dix mille


le champignon de paris qui, à sécher sur la table, était devenu grec ancien, en bouts frustres sur l'ail émincé cuit hors du feu à l'huile bouillue et sauge hachée pour sur des pâtes, lichen humide à même la terre.


train de nuit


Elle a dit: «On commence avec un potage sans eau, tu vois une façon de salade chaude avec quinoa, lentilles, gingembre, carottes et persil.» L’idée était de valider cet air du En moins sur lequel nous flottons depuis quelques mois, qui passe par pas de temps et pas d’argent, une vraie dèche quand on sait que l’un est l’autre, et nous voulions déposer sur la table de la grande arrière-salle en fonction de loge plusieurs plats qui iraient au plus simple, qui chauds ou froids agiteraient une double impression de dénuement et d’opulence, non pas pour mentir ou tromper mais pour perdre et troubler: se repaître d’une série de poignées d’herbe et d’un ensemble de verres d’eau. On s’est imaginé restreindre un bouillon en arrêtant au premier remous une carotte, deux navets, trois branches de céleri, quatre de persil, laurier, un piment doux et quelques centimètres de gingembre (un ami qui passait me demande si j’en ai déjà mangé du frais, «quand il est tout blanc, les tiges ont la consistance des cœurs de palmiers, le goût d’un citron en cavale») dans 2,5 litres d’eau et laisser refroidir jusqu’au soir, les légumes cuisent et infusent au calme, on les imaginait sur les transats du pont supérieur d’un transat. On a réservé le bouillon qui avait le doré d’une pisse irréelle pour un risotto au simple coriandre ajouté à la fin après le parmesan, dont les grains translucides luminaient dans un liant de blanche opale — un eet dû au tiède qu’il fut délicat de maintenir au service. Les légumes moulinés restèrent une soupe. On a fait sécher dans une poêle à feu minimum le vert des poireaux et des oignons émincés pour en tirer tout le craquant, cerise pour une salade de carottes râpées gros et poivrades crues dont on essaye (et ici réussit) de garder le maximum du comestible (chair, feuilles et poils de la fleur) qu’on coupe et recoupe en petits bouts kaki et violets qui s’oxydent vite au brun et posent leur métal réglissé auprès du glissant acide de la vinaigrette de pommes et pépins de raisins. On a ajouté une c.c. d’armagnac. Comme le four est en panne, on a gratiné dans une sauteuse 35 min couvert feu doux, des couches successives de pommes, de poires, d’oranges en tranches sans épluchage, séparées d’un mélange de cassonade, amandes pilées, cardamome et piment, en accompagnement des faisselles de chèvre qu’une cousine de passage à Paris nous posa. Les convives manquèrent se battre, les beaux usages furent rappelés, chacun admettant qu’avec cette entre-saison qui dure on a comme dans un pull interminable parfois un peu peur.

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entrez dans la légende

C’est le parce que c’étaient eux du potager. Carotte et céleri. L’une pourrait être la racine de l’autre, l’autre le toupet de l’une. C’est une vue, l’attente folle du baiser pour toujours. Poser une demi-c. s. de saindoux dans la poêle chaude pour y voir deux minutes fondre émincés petit, une gousse d’ail, une échalote, deux branches de toupet et une racine puis un demi-verre de vin blanc dessus balancé avant de couvrir pour feu doux, très doux, quinze minutes. Le vin blanc disparu, le saindoux caramélisé, se pose le paradoxe du gourmand: je bats quatr’œufs et un jet de crème fraîche liquide dont, feu vif (pas de quartier!), j’inonde la promesse pour baveuse omelette à deux, ou, plus vicelard et contemporain, dans quinze centimètres de baguette ouverts en chausson tartiné sur une face de brie de Melun fermier plâtreux pour y fourrer les légumes dorés comme du Rembrandt. Bien sûr il en a assez pour ne pas choisir, ou mettre l’une dans l’autre, la vie est un arrangement.
Maintenant, et du même départ, ce vert et cet orange, ce balancé sarde appelle à la meilleure soupe du monde. Toujours saindoux, mais une cuillère entière et en cocotte pour y attendrir émincés petit, un navet et une carotte de même encombrement, deux branches de céleri, un poireau, deux petites patates grenailles (oui, si peu), un oignon, puis, avant de couvrir d’eau chaude (4/3 de litre), six pistaches décortiquées et pignons de pin, baie de genièvre, laurier, une gousse de cardamome, selen conséquence et, couvert, trente minutes à feu doux. Pas manger brûlant, ça sert à rien, voire ça gâche.
Plus tard, j’ai refait la même sans les pistaches que je n’avais plus, mais avec un os de veau qui traînait d’un meat loaf du week-end et, en fin de cuisson, juste à l’extinction du feu, un demi-verre de vin rouge. Laissez se répandre. Le fumet attaque, mais c’est tout aussi doux, on en rêve dans un biberon sur les genoux de Nourrice et comme il restait une belle dose  de légumes et rogatons de viande sauvés de l’os, qui repos bien mérité dans la poubelle, je l'ai enfermé avec une lampée de crème dans un carré de pâte feuilletée puis au four quinze minutes sur du sulfurisé, th. 5. Avec un peu de chance sur le papier vous aurez l’empreinte de Paris, Vincennes et Boulogne compris. La cerise du gâteau est ici le fond de bol qui subsiste du reste et qui froid, à la cuillère, lentement — on cherche de la main le relâchement d’un soir d’été —, tourne au métaphysique. Tous les sucs y sont, advenus devant vous comme un Schrödinger maraîcher avec projection des ombres sur les parois de la grotte et roucoules du gosier, un extrait de doute, une nano-crise d’adolescence. On pourrait ne faire cette soupe que pour ça.

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cette reine

la simple envie qu'elle eut de barder de longues feuilles de citronnelle de savoie des diots déposés 30 mn à feu mini dans une poêle sèche et couverte les tapote d'un trouble qu'on prête aux papillons – cerfeuil